cordel 80 la transmission ? positive et négative ?
par , ,
popularité : 6%

Qu’est-ce qui se transmet entre parents et enfants, en positif et en négatif, consciemment ou inconsciemment ? Qu’est-ce qui fait moteur ou frein ? Comment et par où cela passe-t-il ? Et que peut-on en faire ?
La transmission positive des qualités, des compétences, des centres d’intérêt
Nos qualités viennent sans doute d’abord de l’ambiance où nous avons baigné, de la façon d’avoir été nous-mêmes accueilli.es bébé. Avec des parents suffisamment sécurisés et disponibles pour s’ajuster au niveau des sensations, des émotions, pour nous laisser la liberté de découvrir, pour être dans le plaisir de s’émerveiller de nos progrès. Alors, ils ont pu nous transmettre la confiance en nous et dans l’autre, et la capacité de s’approprier le monde.
Ensuite, avoir eu une mère, un père qui aimaient la vie, chanter, cuisiner, recevoir, bricoler, lire, jardiner…, cela donne à l’enfant l’expérience qu’on peut avoir des sensations positives dans le quotidien. Mais à condition que le parent ait envie de partager cela avec son enfant et de le faire participer. Pour l’adulte, il s’agit que ce ne soit pas une perte de temps ou une contrainte.
Bref, c’est à travers le lien avec quelqu’un d’autre que l’enfant peut intérioriser des qualités, des compétences, des centres d’intérêt. Selon les mots du psychanalyste Sandor Ferenczi, « pour autant qu’il aime un « objet » (au sens de quelqu’un de proche), il l’adopte comme partie de son Moi…, voilà ce que j’ai appelé l’introjection ». Cela concerne bien sûr les parents, mais ce peut être aussi une transmission qui se fait avec bien d’autres personnes. Ces transmissions positives vont être un équipement, des ressources, des trésors, paniers dans lesquels on
va pouvoir puiser tout au long de sa vie.
La transmission négative entre les carences et les ricochets des traumatismes
Parfois, ce qui se transmet, c’est du vide, de la carence si les parents sont absents ou submergés par des conditions matérielles ou psychiques de vie et ce, quel que soit le milieu social.
Mais l’identification fonctionne aussi avec les défauts des parents, avec les traces en creux de leurs propres traumatismes. On se rend compte parfois qu’on a les mêmes comportements, les mêmes réactions que celles qui autrefois avaient occasionné de la souffrance. Un peu comme si nous avions été gavé.es par des « entonnoirs invisibles » du négatif transmis par nos parents ou nos ancêtres.
Par quels mécanismes psychiques ? D’abord selon les mots du psychanalyste Albert Ciccone, parce que « tout bébé est inévitablement soumis à un héritage qui fait l’objet d’une transmission. La transmission psychique s’impose au su ou à l’insu des protagonistes. On ne peut pas ne pas transmettre ».
Et c’est souvent « sous le tapis, hors douane » comme le dit le psychanalyste Philippe Réfabert. Et bien sûr, ce sont les zones de trauma dans lesquelles le parent est englué qui sont transmises en premier.
Comme dit Sandor Ferenczi , la souffrance du trauma et la sidération qu’il provoque peuvent conduire à « une identification à l’agresseur » pour se couper de sa propre souffrance. Cela entraine des répétitions, des scénarios douloureux .
Les psychanalystes Nicolas Abraham et Maria Torok décrivent bien ces phénomènes de « crypte » et de « fantôme » : « tous les mots qui n’auront pu être dits, toutes les scènes qui n’auront pu être remémorées, toutes les larmes qui n’auront pu être versées, seront avalées, en même temps que le traumatisme. Avalés et mis en conserve.[…] il s’est créé tout un monde fantasmatique inconscient qui mène une vie séparée et occulte. Il arrive cependant que, à « minuit », le fantôme de la crypte vienne hanter le gardien du cimetière, en lui faisant des signes étranges et incompréhensibles, en l’obligeant à accomplir des actes insolites, en lui infligeant des sensations inattendues ».
Comment filtrer le négatif ? Comment développer le positif ?
Comment trouver et construire les bonnes passoires, les épuisettes pour garder le bon de ce qui est transmis et rejeter le négatif ?
Réfléchir à l’histoire familiale, aux scénarios transgénérationnels qui se répètent, peut aider à découvrir des choses cachées, à les regarder en face, à assumer ses propres actes, ceux dont on est fier ou pas, sans se figer dans une honte ou une culpabilité paralysantes et faire ensuite un pas de côté. Selon les mots d’Albert Ciccone, « le fantasme de transmission a une fonction d’appropriation par le sujet d’une histoire traumatique étrangère, dans le même mouvement qui conduit le sujet à s’en déposséder (« je n’y suis pour rien, mais si c’est ma généalo-gie, c’est bien moi, je peux dire Je, ça m’appartient bien »). Le fantasme de transmission permet au sujet, dans un même mouvement, de se défendre et de se saisir de quelque chose qui, en même temps, lui appartient et lui est étranger ». Par ailleurs, se pencher sur les colères, les peurs, les tristesses de l’enfant qu’il a été peut permettre au parent de ne pas demander à son enfant de les réparer.
Pour filtrer tout cela, on a souvent besoin d’un autre, d’un proche ou d’un thérapeute pour aider à démêler les liens qui entravent.
L’appui dans le positif est aussi précieux : prendre en compte les ressources positives puisées au travers des ren-contres et évènements heureux et aussi les ressources développées comme stratégies de défense face aux trau-mas (par exemple, la solitude a pu se transformer en débrouillardise etc.)
Cela peut donner de la force, de la confiance en soi et de la fierté
Citations :
« La force de qui,
la force de quoi,
rêvez vous d’avoir ?
Et c’est pour quoi faire ? »
Eugène Guillevic dans Enquêtes
« Peut-on tenir un enfant pour comptable d’un passé qu’il n’a pas connu ? Est-il forcément l’héritier des évé-nements qui l’ont précédé ? A ces questions, la plupart des hommes répondront non. Ils auront sans doute raison. Moi, pourtant, je doute. […].
On ne se débarrasse jamais de son histoire quand celle-ci nous fait honte. On se bat avec elle, on se bat, tou-jours, et la seule façon de gagner est de se battre en-core, de faire avec elle, de la reconnaître, de chercher sans cesse à la désigner, à la nommer, à la débusquer. »
Mohamed Mbougar Sarr dans La Plus secrète mé-moire des hommes, Philippe Rey, 2021
Les humains ne sont pas des calebasses vides
Prendre conscience des phénomènes de transmission, savoir que chacun de nous est relié au passé et à l’avenir est d’autant plus précieux que la société individualiste actuelle veut nous faire croire que chacun est seul maître de son destin. L’écrivaine Leonora Miano plaide pour cette reconnaissance notamment dans la saison de l’ombre :
« Les aïeux ne sont pas hors de soi, mais en soi. Ils sont dans le roulement des tambours, dans la manière d’accommoder les mets, dans les croyances qui perdu-rent, se transmettent. Les ancêtres sont là. Ni le temps, ni l’espace ne leur sont des limites. Aussi résident-ils là où se trouve leur descendance.
Les humains ne sont pas des calebasses vides. Les ancêtres sont là. Ils planent au-dessus des corps qui s’enlacent. Ils chantent lorsque les amants crient à l’unis-sons. Ils attendent sur le seuil de la case où une femme est en travail. Ils sont dans le vagissement, dans le babil des nouveaux-nés. Les enfants grandissent, apprennent les mots de la terre, mais le lien avec les contrées de l’esprit demeure. Les ancêtres sont là, et ils ne sont pas un enfermement. Ils ont conçu un monde. Tel est leur legs le plus précieux : l’obligation d’inventer pour survivre »
Travail du fantasme de transmission
La transmission, l’héritage, ce sont d’abord les mis-sions inconscientes confiées par les parents à tout bébé , selon les mots du psychanalyse Albert Ciccone : une mission de continuité d’existence, voire d’immortalité et une mission de réparation de l’histoire parentale, de leurs traumatismes, de leurs échecs.
Et cette mission est d’autant plus difficile que le ou les parents ont vécu enfants des expériences doulou-reuses de parents distants, rejetants, tyranniques, etc. Ils vont demander à leur enfant d’attester qu’eux , les parents, sont de « bons parents » qui ont un « bon enfant » ; et si l’enfant ne correspond à l’image idéale imaginée par le ou les parents, ceux-ci peuvent se sentir disqualifiés, abandonnés, sidérés, paralysés comme autrefois enfant, voire se sentir persécutés par son enfant. Le parent peut alors être amené à projeter sur son enfant l’image d’un parent ou d’ancêtre maltraitant.
C’est souvent ce qui provoque des scénarios de maltraitance chez le parent, ou des blocages chez l’enfant. Celui-ci s’oblige à endosser le costume qu’on lui présente sans s’écouter lui-même, ou bien s’empêche de tout, de peur de ressembler à cet ancêtre.
ce cordel a été écrit à l’occasion de la séance de ciné-club psy autour de l’épisode Zoé 25 de la chaine Psychanalyse et marionnettes sur la transmission
https://outilsdusoin.fr/spip.php?ar...
pour imprimer le cordel , cliquez sur la vignette ci contre
Commentaires