Ça me touche - Cordel N°42
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L’intimité du toucher
Dans les sociétés occidentales, le toucher entre êtres humains est souvent limité aux sphères amoureuse et parentale : dans la vie de tous les jours, on a plutôt tendance à éviter de toucher les gens qu’on ne connaît pas. Cependant, dans le domaine du soin, le toucher est omniprésent, et impose à des personnes inconnues de rentrer en contact. Pour les soignants, c’est une routine qui fait partie intégrante de leur métier. Cet aspect machinal et technique des gestes leur fait souvent oublier que ce n’est jamais facile de livrer son corps, même si c’est dans un cadre professionnel. Cela demande de passer des barrières de pudeur, car le soignant fait intrusion dans l’intimité du patient. Dans l’acte d’exposer son corps, se matérialise un déséquilibre déjà présent dans la relation entre patients et soignants : le fait d’être dépendant pour faire sa toilette, ou dépendant de la connaissance du médecin qui explore le corps (ceci est d’autant plus vrai quand il s’agit de touchers vaginaux ou rectaux). La nudité rend vulnérable, c’est une absence de protection face au pouvoir de l’autre.
Pour qu’ils témoignent de leur respect et de leur compréhension que cette situation coûte au patient, il est important que les soignants lui demandent sa permission, comme un consentement. De plus, les médecins, aujourd’hui, se contentent parfois de regarder les radios, les prises de sang et « oublient » d’examiner, de toucher leur patient. Ils se privent du contact avec l’autre, et aussi de ce qu’on appelle « l’examen clinique » qui est source de renseignements diagnostiques.
Remettre de la conscience au bout des doigts
Le toucher est aussi un sens « double » : on est touché en même temps qu’on touche, on reçoit une information en même temps qu’on la donne. Contrairement à la vue ou à l’ouïe, le toucher est un sens plus directement lié aux émotions et aux ressentis qu’à l’analyse rationnelle. Rentrer en contact tactilement avec quelqu’un ne nous apportera pas le même type d’informations que si on l’avait fait par la parole. Ainsi, le toucher peut avoir pour effet de rassurer, d’apaiser : c’est ce qui arrive quand on prend dans les bras un enfant qui pleure, ou lorsqu’on se fait mal et qu’on a pour réflexe de poser sa main sur la zone du corps qui souffre.
Ceci prend particulièrement de signification dans la relation entre le patient et le soignant : par le toucher se mettent en relation deux consciences, deux êtres humains doués de sensibilité avant tout. Mais c’est cette sensibilité qui peut être à double tranchant : certains soignants on aussi des réticences à toucher le corps des patients, et il est fréquent qu’un contact trop rapide ou brutal soit vécu comme de la négligence ou de la maltraitance. En réalité, les soignants, dans leur formation, ne sont que très peu, voire pas du tout formés à cette portée du toucher qui soulage.
En prenant conscience de ce double effet que peut avoir le toucher, ils pourraient pourtant avoir une main qui « palpe » et l’autre main qui « rencontre ». Pendant l’examen clinique, le médecin peut aussi inclure le patient dans l’examen de son propre corps : par exemple lui faire voir ou toucher à son tour, mener « l’investigation » à deux (et non tout seul face à un « corps objet » qui donnerait des indices), ou lui apprendre à s’examiner tout seul.
Utiliser la fonction thérapeutique, réparatrice du toucher par cette manière simple replacerait les soignants dans plus d’humilité, car ils se montreraient capables d’accueillir la souffrance de l’autre, sans l’ignorer. Permettre cet apaisement c’est ouvrir au patient la possibilité de se confier à l’étranger qui fait irruption dans son intimité.
Les médecines du toucher
Il existe de nombreuses pratiques qui reconnaissent la fonction thérapeutique du toucher : la kinésithérapie, la psychomotricité, l’ergothérapie ; mais aussi l’haptonomie (par exemple, en préparation à l’accouchement, pour vivre la douleur différemment), le Reiki (d’origine japonaise, basé sur l’idée que le corps est constitué d’atomes et donc d’énergie, et que le toucher permettrait un échange d’énergie entre deux êtres…).
« Un jour une main s’est tendue pour que la mienne y prenne vie. Pour que la mienne y prenne feu. Un jour une main m’a prise et désormais je n’ai eu lieu qu’en elle. C’est ta main, et quand je la tiens, je crois te tenir tout entier. J’en parle comme de toi. » Mireille Sorgue - extrait de l’Amant « La peau est perméable et imperméable. Elle est superficielle et profonde. Elle est véridique et trompeuse. Elle transmet au cerveau les informations provenant du monde extérieur, y compris des messages « impalpables » qu’une de ses fonctions est justement de « palper » sans que le Moi en soit conscient. Elle a, dans toutes ses dimensions, un statut d’intermédiaire, d’entre-deux |
…]. La peau soustrait l’équilibre de notre milieu interne aux perturbations exogènes, mais dans sa forme, sa texture, sa coloration, ses cicatrices, elle conserve des marques de ces perturbations. A son tour, cet intérieur qu’elle est censée préserver, elle le révèle en grande partie au dehors : elle est aux yeux des autres un reflet de notre bonne ou mauvaise santé organique et un miroir de notre âme » Didier Anzieu dans le Moi Peau |
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Cordel écrit par Pauline Buffin, étudiante en médecine, en lien avec les participants à l’atelier d’écriture de cordels dans la Drôme octobre 2016 ; Collectif Outils du soin, cordel n° 42 www.outilsdusoin.fr | cordel : petit fascicule brésilien de poèmes ou écrits subversifs accrochés à une corde à linge et vendus dans les marchés |
Du côté des infirmières |
Le toucher en kinésithérapie |
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